Pascal Blanchard et le soi-disant islamo gauchisme
(2) Islamo-gauchisme : la polémique - C l’hebdo -
20/02/2021 - YouTube
Je ne le connaissais pas. Un soi-disant historien parle d’un soi-disant islamo-gauchisme.
Les formules ne m’ont jamais fasciné. Les exemplaires significatifs oui.
Monsieur Blanchard énonce une théorie de distinctions qui montrent que la réalité
est toujours plus complexe, et il est en train de la dévoiler. Si ; on peut
dévoiler la réalité, parce qu'on nous a appris que la réalité est opaque
(Heidegger dixit), mais on paye à des éminents professeurs pour qu’ils
nous disent toujours la même chose : que leur fonction c’est de la dévoiler,
mais… qu’elle est opaque.
Il fait des études post-coloniales. Je ne sais ce que sont les études post-coloniales.
Ça vaut dire qu’elles sont faites après la fin des empires coloniaux ? Ce
serait ainsi, ça voudrait dire qu’une thèse sur l’analyse infinitésimale
publiée aujourd’hui est une étude postcoloniale. Est-ce qu'il y en a malgré
tout a un contenu précis dans cette expression «post» ? Si c’est ainsi, le
mot «post» ne dit rien sur le contenu. C’est un mot vide. Ceux qui l’utilisent
ne sont pas capables d’énoncer synthétiquement le contenu de ce qu’ils proposent
comme point de vue sur le monde. Un «socialiste», un «libéral», un «romantique»
peut dire beaucoup de choses, même très contradictoires, les mots peuvent être
mal utilisés, la plupart du temps d’ailleurs. Mais au moins il y en a un essai de
dire quelque chose avec les mots qu’on utilise.
On le sait déjà : les post-modernes, poststructuralistes, les
postchrétiens et tant d’autres «post» nous l’ont déjà montré. Ils n’ont pas
d’idées sauf une : qu’ils viennent après d’autres. Ces autres qu’on
doit caricaturer pour montrer qu’on est plus sophistiqué, plus critique et
moins naïf que nos ancêtres. Voilà tout - le vide.
Mais cette expression «post» est-elle si vide ? Ou est-ce qu’à la limite,
parce qu’on ne peut pas vivre des décennies en disant des phrases absolument
vides, elle dit quelque chose ? Quelque chose qu’elle ne veut pas dire,
mais qu’elle veut cacher. Ce mot «post» vaut dire qu’on veut cacher. Au moins
nous avons découvert quelque chose que ce mot vaut dire.
Mais que veut cacher ce professeur ? Que veut-il professer ? Une vision
critique qui n’existait pas par le passé ? Critique de quoi ? Du colonialisme ?
Mais la critique du colonialisme, on la voit chez Joseph de Maître, Chateaubriand,
Pareto, chez les mouvements protestants britanniques ou norvégiens, auxquelles
s’oppose la très laïque Compagnie des Indes Orientales britannique, le prince Leone
Caetani, Gomperz (qui critique aussi l’inégalité des femmes), même Alexandre
Pope ou les jésuites …
Dit-il que le très illuministe Volney défendait le colonialisme? Ou la très
anticolonialiste Birmanie défend les idées impériales japonaises ? Que des
anticolonistes arabes disent que Shakespeare était arabe et son vrai nom
as-Sayj Zubayr? Que le parti communiste français n’était pas anticolonialiste parce
que les ouvriers de Renault apprenaient à l’école que l’Algérie était française
(voir les mémoires de Paul Germain)? Qu’Étiemble fait des Lumières l’ancêtre du
colonialisme?
Que la France soit criminelle, c’est là la découverte ? Mais si la
France nous le dit dès plus de soixante-dix années. Si Sartre avait déjà dit
que le colon est un chien et doit être tué comme un chien (le pauvre, il voulait
imiter Nietzche dans l’insulte, mais l’art de Nietzche n’est pas donné à tous)?
Que le catholicisme était persécuteur ? On vous écoute dire ça il y a plus
de deux cents ans. Et les nazis l’ont dit avec vous. Vous ne choquez pas le
monde. Vous l’ennuyiez. De tant nous parler de vos nouveautés, on croit à votre
consistance : vos nouveautés sont toujours les mêmes. Vous ne savez plus produire
du nouveau ?
Voilà, quelles sont les merveilleuses découvertes de ce mouvement post-coloniale?
Et les «études du genre»? Voilà ce qu’il dit: «Les hommes ont raconté l’Histoire
pendant vingt siècles» (15m50s du vidéo). Voilà ce qu’il fallait cacher. Avant
ces vingt siècles les hommes n’avaient pas ce monopole. Avant ces vingt siècles
hommes et femmes pouvant raconter l’Histoire comme des égaux.
Qu’est-ce que s’est passée entre-temps ? Quelle sénatus-consulte du temps
de Tibère, quelle loi des Parthes, quel décret d’un rajah quelque part en Inde
a tout changé sur le sort des femmes ? Qu’est-ce que s’est passé il y a
deux mil ans ?
Hypothèse hardie, peut-être, mais je vais l’énoncer. Le christianisme. Ce
qu’il voulait voiler l’est venu quand il a voulu simplifier. Voilà l’ennemi. C’était
plus fort que lui. Quand monsieur veut augmenter la complexité il ne fait que voiler,
de nous envelopper de feux d’artifice conceptuels. Quand il devient simpliste, il
devient sincère.
Qu’est-ce qu’a changé le statut de la femme dans le christianisme ? La
question de la «homoousia» ? La double nature du Christ ? Mais non,
que les femmes dans de gynécée à Athènes ou en Perse, ou les femmes dans les
harem à Bagdad sachent qu’elles sont bien plus libres que les chrétiennes. Huit
reines de droit propre en Angleterre, trois en Espagne, deux au Portugal, des dizaines
de souveraines de droit propre en Europe chrétienne, quel retard par rapport au
statut de la femme chez les Azéris.
Le problème c’est que c’est facile, c’est trivial, c’est déjà vu. Le problème
c’est que la discussion intellectuelle en France a vu diminuer sa qualité rhétorique,
philosophique et sapientielle dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
Beaucoup d’ exemples pourraient démontrer ceci. Chaque fois qu’on écoute l’expression
préférée de Hitler et Himmler de «judéo-chrétien», l’oppression par le christianisme,
la plus grande «tolérance» des autres religions (le nazisme a laissé sa marque
en France, on le voit)… Ou chaque fois qu’on écoute cet argument «la Bible est
violente», sans faire une distinction, connue du reste du monde, entre Ancien Testament
et Nouveau, que les Pères de l’Eglise maniaient déjà très profondément du point
de vue théologique (fonction prophétique de l ‘Ancien, bourré de mauvais
exemples moraux, par exemple) … On pense qu’une belle culture est en décadence
et ne s’en rend pas compte.
Que les soi-disant intellectuelles défendent tout ce qui reste de plus avilissant
pour l’être humain, toute sorte de régimes totalitaires, c’est quelque chose
qui ne choque pas les Français, apparemment. Ce qu’on doit faire c’est tout simplement
de substituer l’object de notre idolâtrie. Staline passe le témoin a Mao, à
Kadhafi, au monde ouvert à tous, et aux victimes des empires coloniaux, musulmans
de préférence, même s’ils sont Turcs et n’ont pas été victimes d’empires mais
auteurs.
Voilà l’ennemi commun, tout se comprend. Les vingt-siècles où un obscur édit
de Tibère a tout changé. La femme, qui a été libre pendant des millénaires, a
été subjuguée par cet obscur édit. Tout est bon si on a de bons sentiments. Il
y en aurait tant de choses à dire… Mais de la part de quelqu’un qui aime la culture
française, celle de Pascal, de Cauchy, de Poincaré, de Racine et Molière ou
Pasteur, c’est triste de voir jusqu’à quel point elle se laisse devenir la risée
du monde. Et, avec l’histoire intellectuelle des dernières décennies, à pire
encore : à ne plus compter, tout simplement parce qu’on veut avoir de bons
sentiments, de meilleur «sens critique»… Mais on ne fait que voiler et se
voiler. C’est un requiem que je ne voudrais pas faire. Ce serait trop triste pour
moi. Il faudrait que la France m’en enlève la raison de ceci.
Voulez-vous, monsieur, que nous, qui ne sommes pas des Français, étudions
une culture d'un pays que vous dîtes être raciste, criminel, coupable? Ça vaut
dire que vous nous conseillez de ne pas en étudier la culture. Soit. Beaucoup
de gens vous croiront. Et vous laisseront à vous seuls les Français la tache de
vous démêler d'une culture que vous qualifiez d'aussi déméritante. Vous voulez
une France fermée sur elle-même, engourdie dans sa saleté. On vous donnera
raison, comme une raison pour vous oublier. Sachez, monsieur, que cette
auto-suffisance c'est toujours le premier pas vers l'isolation. Vous voulez une
France provinciale. Il y aura des étrangers heureux de vous donner raison.
Permettez-moi, monsieur, que tel ne soit pas mon cas. Si je dois choisir de
vous condamner à vous ou à votre pays souffrez que je ne sacrifie votre pays.
Il est déjà sacré pour moi. Vous pouvez deviner votre sort. Pour votre
consolation, il ne m'est pas imputable, parce que je ne suis pas le destin. Si
le miroir vous dit que le monde est laid, ce n'est que le miroir soit menteur,
c'est que ce n'est pas le monde ce que vous y voyez.
Alexandre Brandão da Veiga